Géostratégie : Turquie aux confins de la Méditerranée orientale, du Caucase et du Proche/Moyen-Orient

Publié le par Jerome moreno herrero

Situé dans une zone géostratégique majeure aux confins du Caucase et du Moyen-Orient, le Mont Ararat (5.165 m) est le plus haut somme de la Turquie

Situé dans une zone géostratégique majeure aux confins du Caucase et du Moyen-Orient, le Mont Ararat (5.165 m) forme le plus haut sommet de la Turquie

 

Selon un communiqué de l’agence de presse turque Anatolie publié vendredi 25 août 2009, la Turquie et l’Iran envisagent de créer une zone industrielle franche dans deux provinces frontalières (Van et Igdir). Liée à la CEE par un Accord d’association signé le 12 septembre 1963 et entré en vigueur le 1er décembre 1964, la Turquie devint officiellement candidate à l’Union Européenne (UE) lors du Sommet d’Helsinki le 10 décembre 1999. Nation à 99 % musulmane du Proche-Orient, la Turquie semble initier un processus de rapprochement géopolitique et géostratégique croissants avec ses voisins moyen-orientaux ainsi que certaines nations d’Asie centrale.


Iran-Turquie : Rapprochement géopolitique et géostratégique croissants

Proposé par l’Iran, le projet de création d’une zone industrielle franche dans deux provinces frontalières fut officiellement approuvé vendredi 25 août par le ministre turc de l’Industrie et du Commerce Nihat Ergun. La Turquie et l’Iran, qui avaient débuté l’étude de ce projet au cours de l’année 2008, espèrent le finaliser concrètement fin 2009. Rappelons que l’Iran est le deuxième détenteur mondial des réserves pétrolières (10 %, derrière l’Arabie Saoudite et devant l’Irak) et gazières (15 % derrière la Russie et devant le Qatar). L’Iran est également le deuxième producteur pétrolier au sein de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole).

Voici la déclaration finale de Nihat Ergun : « Nous attachons une grande importance à ce projet et souhaitons en faire le plus important et performant centre de production et d’industrie au Moyen-Orient ».

 

Carte politique de l'enclave azerbaïdjanaise de Nakhchivan (capitale éponyme) et des pay limitrophes du Moyen-Orient et du Caucase

Carte politique de l'enclave azerbaïdjanaise de Nakhchivan (capitale éponyme) et des pays limitrophes du Moyen-Orient et du Caucase

 

Les deux provinces orientales concernées sont Van (limitrophe de l’Iran, capitale éponyme, 19.069 km2 et 1.012.707 habitants) et Igdir (Anatolie orientale, capitale éponyme, limitrophe de l’Arménie, de l’enclave azerbaïdjanaise de Nakhchivan et de l’Iran, 3.587 km2 et 179.839 habitants). Situé à 65 % dans la province d’Igdir  et à 35 % dans celle d’Agri (16 km à l’ouest de l’Iran et 32 km au sud de l’Arménie), le Mont Ararat (5.165 m) est un volcan gris dont le sommet est couvert de neiges éternelles. Point culminant de la Turquie, le Mont Ararat est célèbre mondialement puisque le livre de la Genèse le mentionne comme la terre ferme atteinte par l’Arche de Noé.

Enclave montagneuse du Caucase, le Nakhchivan constitue une république autonome de l’Azerbaïdjan depuis le 17 novembre 1990. Détaché de l’Azerbaïdjan, le Nakhchivan (capitale éponyme, 5.363 km2, 398.000 habitants) partage des frontières communes avec la Turquie (extrémité occidentale, 15 km), l’Arménie (Nord, 221 km) et l’Iran (Sud, 179 km). Les tensions récurrentes avec son voisin arménien paralysent les relations économiques et commerciales entre l’Azerbaïdjan et son enclave dont l’isolement est accentué. En raison du rôle géopolitique et géostratégique majeurs de la Turquie, aucun conflit armé n’éclate entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Située à la frontière irano-turque, cette zone industrielle franche aura d’importantes répercutions économiques, commerciales, géopolitiques et géostratégiques au Caucase et au Moyen-Orient. Son implantation vise à créer des emplois pour les arméniens et les habitants du Nakhchivan ainsi qu’à normaliser les relations diplomatiques entre d’un côté la Turquie et l’Arménie et de l’autre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Comme on le constate concrètement, la Turquie à 99 % musulmane et notamment la province montagneuse d’Anatolie orientale se tournent progressivement vers le Moyen-Orient et le Caucase. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale constituent également un débouché économique et commercial stratégiques pour la Turquie.

Et si la Turquie, nation méditerranéenne musulmane du Proche-Orient commençait à s’éloigner politiquement et économiquement de l’Union Européenne (UE) ?

 

Rencontre des présidents turc Cevdet Sunay (1899-1982) et français Charles De Gaulle (1890-1969) à l'Elysée le 27 juin 1967

Rencontre des présidents turc Cevdet Sunay (1899-1982) et français Charles De Gaulle (1890-1969) à l'Élysée le 27 juin 1967

 

Turquie/CEE-UE : brève présentation chronologique

Premier ministre turc durant 10 ans (22 mai 1950-27 mai 1960), Adnan Menderes (1899-1961) prononça le 11 novembre 1957 un discours capital au cours duquel il évoqua une participation concrète de la Turquie au sein de la Communauté Économique Européenne (CEE). Menderes souhaita même que la CEE débouchât ultérieurement sur une Union Politique Européenne. Le 27 mai 1960, un coup d’État militaire mit brutalement fin à son cinquième gouvernement. Condamné à mort pour violation de la constitution turque, Menderes fut exécuté avec deux de ses anciens ministres le 17 septembre 1961 sur l’île d’Imrali (sud de la Mer de Marmara). Équivalent turc d’Alcatraz, l’île d’Imrali abrite une base militaire et surtout une prison de très haute sécurité dont l’actuel et unique détenu est le terroriste kurde Abdullah Öcalan (ancien chef du PKK). Moins de 34 ans après l’exécution de Adnan Menderes, l’Union Européenne (UE) s’est substituée le 1er janvier 1995 à la CEE.

Dix-huit mois après l’entrée en vigueur du Traité de Rome (1er janvier 1958), la Turquie présenta officiellement le 31 juillet 1959 sa demande d’association avec la CEE.

Exactement 280 ans jour pour jour après l’éclatante et décisive victoire lors de la Bataille de Vienne du 12 septembre 1683 (coalition chrétienne de 70.000 soldats polonais, allemands et autrichiens commandés par le Duc Charles V Léopold de Lorraine et de 30.000 hommes de secours dirigés par le Roi de Pologne Jean III Sobieski face aux 250.000 hommes commandés par le Grand Vizir Kara Mustafa), l’Accord d’association entre la Turquie et la CEE fut solennellement signé à Ankara le 12 septembre 1963. L’Accord d’Ankara entra officiellement en vigueur le 1er décembre 1964.

Cevdet Sunay (1899-1982) fut le cinquième président de la Turquie (28 mars 1966-28 mars 1973). Ancien prisonnier des britanniques lors de la première guerre mondiale, Cevdet Sunay participa dès 1918 à la Guerre d’Indépendance sous le commandement de Mustafa Kemal dit Atatürk (19 mai 1881-10 novembre 1938). Militaire de carrière et chef d’État major des armées turques depuis 1960, Cevdet Sunay fut reçu en grande pompe le 27 juin 1967 au palais de l’Élysée par le général Charles De Gaulle (1890-1969). Très en verve, le bradeur de l’Algérie française, de l’AOF et de l’AEF déclara notamment : « En Europe, […] l’intérêt de nos deux Républiques n’est-il pas de conjuguer leurs efforts pour qu’au lieu de l’opposition stérile de deux camps s’établissent la détente, l’entente et la coopération entre tous les peuples de notre continent ». Le général De Gaulle se rendit en Turquie en octobre 1968 lors d’un voyage officiel où il rencontra son homologue turc.

 

Premier président de la Turquie laïque (29 octobre 1923-10 novembre 1938), Mustafa Kemal dit Atatük (1881-1938) enseigne l'alphabet latin le 20 septembre 1928 dans la ville industrielle de Kayseri (Anatolie centrale)

Premier président de la Turquie laïque (29 octobre 1923-10 novembre 1938), Mustafa Kemal dit Atatük (1881-1938) enseigne l'alphabet latin le 20 septembre 1928 dans la ville industrielle de Kayseri (Anatolie centrale)

 

La Turquie déposa officiellement le 14 avril 1987 sa candidature d’adhésion à la CEE.

Lors du Sommet européen d’Helsinki le 10 décembre 1999, l’Union Européenne (UE) reconnut officiellement la candidature d’adhésion de la Turquie.

Le 16 décembre 2004, les dirigeants politiques des 27 nations de l’UE décrétèrent solennellement que les négociations d’adhésion débuteront à partir du 3 octobre 2005. Commissaire en charge de l’élargissement de l’UE depuis le 22 novembre 2004, le finlandais Olli Rehn est un soutien indéfectible de la candidature turque.

Précisons également que Sarkozy s’est arrangé à tripatouiller la Constitution du 4 octobre 1958 afin que l’organisation d’un référendum lors de l’adhésion d’un nouveau membre au sein de l’UE ne soit plus automatique. Par conséquent, l’agité frénétique de l’Élysée a délibérément décidé d’empêcher les électeurs français de rejeter cette adhésion intempestive. Le moment venu, l’opportuniste Sarkozy nous expliquera cyniquement qu’à titre personnel il avait toujours été hostile à l’adhésion de la Turquie au sein de l’UE mais que la France ne pouvait pas empêcher à elle seule ce processus historique. En résumé, il s’agit d’une variante alambiquée de l’adage marxiste du prétendu « sens de l’histoire ».

Située à un carrefour géopolitique et géostratégique décisifs, la Turquie est une nation méditerranéenne musulmane dont plus de 97 % du territoire appartient au continent asiatique. Aux confins du Proche/Moyen-Orient et du Caucase, la Turquie se tourne progressivement vers ses voisins orientaux et même certaines nations d’Asie Centrale. Membre de l’OTAN depuis 1952 et indéfectible soutien d’Israël, la Turquie constitue également un pion géopolitique et géostratégique majeurs pour les stratèges américano-mondialistes.

Publié dans Nouvelles mondiales

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